Un challenge à l'aube d'une ère nouvelle

Modernisation, communication et innovation sont désormais une réalité, et font partie intégrante du quotidien du bureau de la FCI. En réponse aux nombreuses sollicitations qui nous parviennent chaque jour des quatre coins du globe, nous assurons une mission d'information et mettons tout en œuvre pour fournir le meilleur service possible à nos pays membres et à l'univers des activités canines organisées.

En fait, nous sommes en permanence en quête d'excellence.

Le monde est entré d'un coup dans l'ère de la globalisation – et ce, à bien des égards – et nous ressentons tous le besoin d'être sans cesse en contact étroit et immédiat avec les autres.

Lire la suite

Carla Molinari
Trésorière de la FCI
A la recherche de la cynophilie naissante, du moyen-âge à 1911 (partie 3/7)

Retrouvez l’intégralité de cet article et bien d’autres choses dans le Livre du Centenaire de la FCI www.fci.be/onlinecatalogue.aspx

Raymond TRIQUET, France
« Maître de Conférence » Senior à l’Université de Lille III,
ancien Président de la Commission des Standards de la FCI

DAUBENTON, le collaborateur de BUFFON à qui l’on doit l’introduction en France du mouton mérinos en 1776, publie Instructions pour les bergers et les conducteurs de troupeaux.

Il ne s’agit donc plus seulement de les garder mais de les conduire. DAUBENTON (en vérité d’AUBENTON, 1716-1800) a pris une grande part dans la description des mammifères et, en particulier, des chiens dont il a détaillé les parties du corps à la façon d’un standard. Et il emploie le mot « race », division de l’espèce : « il y a plusieurs races très distinctes parmi les chiens ». « On reconnaît aisément dans un métis les races dont il provient ». On découvre, chez DAUBENTON des observations qui seront reprises par d’autres bien plus tard. Par exemple, « ces animaux se ressemblent tous à l’intérieur pour les parties molles et les caractères distinctifs de chaque race consistent dans les os et dans la forme extérieure du corps ». L’expression « caractères distinctifs » est de notre temps. Nous disons actuellement que le type est dans la tête. DAUBENTON le sait déjà : « La forme du museau est le trait le plus marqué de la physionomie des chiens de chaque race ». Il décrit les mâtins, les grands danois (ou danois de carosse), les lévriers, les chiens de berger « qu’on emploie à la garde des troupeaux », les chiens-loups, les chiens de Sibérie, les chiens d’Islande, les chiens courants, les braques, les bassets (ceux « à jambes droites » et ceux « à jambes torses » comme ceux « aux poignets tors et aux longues oreilles qui balaient la rosée du matin » que SHAKESPEARE décrit en 1600, dans le Songe d’une nuit d’été), les grands barbets, les épagneuls, les gredins (épagneuls noirs ou épagneuls d’Angleterre tandis que les gredins « marqués de feu » sont appelés « pyrames », tous deux ancêtres des spaniels), les petits danois « qui ont le plus souvent des taches noires et blanches et, lorsqu’ils sont mouchetés de noir sur un fond blanc, on les appelle arlequins pour désigner cette bigarrure ». On croirait du Bernard DENIs dans sa Nomenclature des robes chez le chien de 1982 : « la robe bigarrée est également décrite sous les noms d’arlequin ». Viennent ensuite les chiens turcs ou chiens de Barbarie et les dogues au « museau gros, court et plat » et au « nez retroussé », au bout de museau noir et au corps fauve pâle. BUFFON dit que le dogue vient d’Angleterre et que « l’on a peine à maintenir la race en France » à cause du climat. Nous pensons, bien sûr, au Bulldog dont ni BUFFON ni DAUBENTON ne disent un mot bien qu’il soit célèbre en Angleterre et que le nom Bulldog (chien de taureau) soit apparu en 1500. Richard THORNBILL qui a traduit l’oeuvre de BUFFON dès 1804 rend en anglais « dogue » par Bulldog et « dogue de forte race » par strong Bulldog. Il s’agit évidemment du Bulldog de l’époque, qui avait un nez pour respirer et attaquer le taureau. Les autres chiens cités par DAUBENTON sont des « races métives » (« races engendrées de deux espèces », c’est-à-dire métisses – nous dirions « races croisées ») : les petits barbets, les bichons qui « ont été fort à la mode, mais on n’en voit presque plus ». Des chiens sont donc « à la mode » au XVIIe siècle, ce qui me semble « furieusement » moderne ! et on les appelle aussi « chiens de Malte » qui sont « chiens à longs poils », les chiens-lions dont « la queue a un bouquet de poil à l’extrémité » , les doguins ou dogues de Bologne, dogues d’Allemagne ou mopses (donc, des carlins – allemand : der Mops), les dogues de forte race, qui sont « bien plus grands » que les « vrais dogues », « mélange du vrai dogue avec des mâtins ou des danois ».

DAUBENTON ne connaît pas le mot « retrempe » mais il l’explique très bien, plus d’un siècle avant le Traité de zootechnie de DECHAMBRE. Il montre que lors d’un croisement entre deux races, « les caractères du métis disparaissent » si on accouple ce métis avec un sujet d’une des deux races d’origine. Il ajoute que « les caractères dominants » d’une des deux races « passent au second métis, et peuvent dès cette seconde génération rétablir l’une des races originaires ». Il explique également comment l’homme a créé des « races nouvelles et distinctes » « en ayant soin de perpétuer les différences dans la forme de leurs corps (…) en faisant accoupler des individus doués des mêmes qualités ». Voilà nos chiens de race, fils de l’homme et c’est BUFFON luimême qui l’exprime le plus élégamment. Il observe tout d’abord et cela sera repris sans cesse en des termes différents bien plus tard, que le chien est de tous les animaux « celui dont la nature est la plus sujette aux variétés (…) la forme même n’est pas constante ». C’est dans le chien que l’on « trouve les plus grandes variétés pour la figure (nous dirions forme ou contour, ou dans un standard, aspect général), pour la taille, pour la couleur ou pour les autres qualités ». Et voici comment on peut fixer une race nouvelle :

Illustration de l’Histoire naturelle générale et particulière avec la description du cabinet du roy, Tome V, imprimerie royale, 1755.
Illustration de l’Histoire naturelle générale et particulière avec la description du cabinet du roy, Tome V, imprimerie royale, 1755.

Dès que, par un hasard assez ordinaire à la nature, il se sera trouvé dans quelques individus des singularités ou des variétés apparentes, on aura tâché de les perpétuer en unissant ensemble ces individus singuliers.

C’est du DAUBENTON avec la plume du maître. Donc, la science est en place, et même les croisements probablement consanguins. Mais où est la cynophilie, avec son élément « amour du chien » ? BUFFON l’exprime très bien :

Il (le chien) est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance (…)
Il adore l’homme, qui ne le vaut pas.

Ce sera également le jugement de KIPLING, un siècle plus tard :

Ce chien vaut mieux que la plupart des hommes.

BUFFON a vu aussi l’étrange mimétisme qui fait que le chien « prend le ton de la maison qu’il habite ; (…) il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne ». Ne dit-on pas « tel maître, tel chien » ?

Pour quelle raison faudra-t-il encore attendre plus d’un demi-siècle pour voir l’éclosion de la cynophilie ? Tout semble en place mais le niveau de vie n’est pas suffisant. J’ai comparé jadis la passion des chiens de race aux soins consacrés aux pelouses. Il faut être riche pour semer de l’herbe, la rouler, la tondre avec des engins de plus en plus sophistiqués, pour finalement la jeter. Il faut être riche pour élever et soigner des chiens de race pour ne pas s’en servir autrement que les montrer en parcourant des distances parfois considérables. Or, les communications dépendent encore du cheval et non du cheval-vapeur.

Au XVIIIe siècle, en France, le « siècle des lumières », on philosophe, on étudie et on folâtre. On fait des mots d’esprit et les dames ont un petit chien dans leur manchon mais le peuple a faim.

Il y a encore des années de disette ou de famine (600.000 morts en 1709, 80.000 en 1740). Avec BUFFON nous sommes à l’aube de longues années de « bruit et de fureur », de la Révolution de 1789 à Waterloo, et jusqu’aux révolutions de 1830 et de 1848 en Europe. Si DAUBENTON sera couvert d’honneurs, le fils de BUFFON sera guillotiné.

Un poète français, méprisant, qualifia le XIXe siècle de « siècle à mains ». ce fut plutôt un siècle à science et un siècle à machines et le siècle de la Révolution Industrielle. Après LINNE, ce naturaliste suédois qui, au XVIIIe siècle, a codifié la description des plantes et des animaux en proposant quatre catégories : la classe, l’ordre, le genre, l’espèce, classification qui sera complétée et adoptée partout, après BUFFON et DAUBENTOn vient Georges CUVIER avec ses Leçons d’anatomie comparée en 1805 (l’année de la bataille d’Austerlitz) et, en 1816 (un an après Waterloo) Le Règne animal distribué d’après son organisation. CUVIER classe le « doguin-mopse » (le carlin) dans les « petits chiens d’appartement » avec les bichons qui portent « les marques les plus fortes de la puissance que l’homme exerce sur la nature ». En 1824 paraît l’Histoire naturelle des mammifères de GEOFFROY-SAINT-HILAIRE et Frédéric CUVIER (le frère de Georges CUVIER). Les auteurs montrent les modifications dans le sens du raccourcissement de la tête et la diminution de la « capacité cérébrale ». Les dogues de forte race ont une vie courte : « à cinq ou six ans, ils montrent déjà de la décrépitude ».

Histoire d’un manchon, habité par César, Le monde illustré (1858)

N’est-ce pas une grande préoccupation chez les éleveurs modernes de certains molossoïdes ? En 1859, DARWIN publie De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle et, en fin de siècle, MENDEL, avec ses petits pois est le génial auteur des lois de l’hybridation (1865) et le fondateur de la génétique, même s’il ne sera guère connu en France qu’après la guerre de 14-18, ayant pour les Français les défauts d’être moine et autrichien.

Le « sport canin » va s’établir tout d’abord en Angleterre parce que c’est là qu’ont été inventés les « rural sports » et parce que ce pays est plus riche avec le développement rapide du machinisme. La preuve ? Les ouvriers anglais ont porté des chaussures alors que les ouvriers français allaient en sabots, d’où le surnom donné aux Français : clogs, des « sabots », avant de devenir des « mangeurs de grenouilles » (frog-eaters). La proximité phonétique de « frog » et de « clog » n’est certainement pas pour rien dans cette affaire ! Sa révolution technique a commencé dès le XVIIIe siècle. Les premières locomotives ont roulé au début du XIXe avec George et Robert STEPHENSON et le premier transport de voyageurs date de 1825. La reine Victoria a pris le train pour la première fois en 1842. Pas de chemin de fer, pas d’exposition autre que purement régionale. Tout n’est pourtant pas rose. C’est le temps des slums (taudis), d’Oliver Twist (1838), des combats de chiens (le « Bull and Terrier » ayant remplacé le Bulldog du temps d’Elizabeth I), et des concours sur rats avec de nombreux terriers comme l’ « English White Terrier » aujourd’hui disparu. Les combats étaient très populaires (cruauté et bêtise des hommes) et allaient de pair avec les combats de boxe à mains nues qui ont duré jusqu’en 1889. Les terriers se multiplient dans le Nord industriel de l’Angleterre, les races se diversifient et se fixent. Les chiens « de race » sont élevés dans les cités ouvrières. De même, en France, les bouledogues français seront élevés par le petit peuple de Paris (le mot apparaît en 1741 mais la race ne sera connue officiellement qu’en 1898 – selon LUQUET). « Les Anglais ont été de tout tems (temps) renommés pour les chiens ». C’est MENAGE qui le dit, en 1650. Cette renommée n’est pas usurpée en cette première moitié du XIXe siècle et le goût du chien pour le chien gagne tout le nord du pays. On le constate avec cette répartie tirée des Pickwick Papers de DICKENS (1836 – 1837) : I should like to have seen that dog said Mr. Winkle (j’aurais aimé voir ce chien, dit M. Winkle). Le mot clef est « voir ». On va se déplacer pour voir un chien parce qu’il est beau ou parce qu’il est curieux, qu’il possède ce que les autres n’ont pas. C’est la multiplication des races et le début du chien-objet vingt ans avant les premières expositions. Le continent se met à importer des chiens anglais, pas seulement les chiens de chasse mais d’agrément. Il y a longtemps que l’on est « fou de chiens », et que les chiens de compagnie ont un statut à part dans la maison. LA FONTAINE le dit déjà dans « l’Ane et le petit chien » :

Ce chien, parce qu’il est mignon
Vivra de pair à compagnon
Avec Monsieur, avec Madame.

SHERIDAN, en 1777, met en scene dans The School for Scandal (l’Ecole de la médisance) Lady Teazle peignant le chien de manchon de sa tante Deborah. L’homme rend au chien l’amour qu’il lui porte. Il le caresse, le soigne mais aussi, il le façonne à son goût par exemple en diminuant la taille, en raccourcissant le museau. C’est ce qui va arriver au King Charles Spaniel et au Bulldog, pour ne citer qu’eux. Le commerce de vin de Bordeaux (claret) est florissant avec l’Angleterre et les échanges sont nombreux. Les chiens anglais prennent le bateau. Les cirques de Bordeaux qui organisaient des combats « à mort », ont été créés au milieu du XVIIIe siècle et dureront jusqu’au milieu du XIXe siècle. Un « mémoire des frais et dépences (dépenses) pour la course du thaureau (taureau) » nous prouve que de nombreux « Dogues » et « Boulle Dogues » étaient achetés par douzaines à Rouen, en Espagne, en Hollande et en Angleterre où les combats ont été interdits dès 1835. Les éleveurs se spécialisent par races. Une sanguine de J.L. AGASSE figurant au « Musée d’Art et d’Histoire » de Genève prouve, par exemple, l’existence d’élevages de dogues et autres molosses en 1808.

Les livres sur les chiens se multiplient en Grande-Bretagne. Leurs auteurs sont des praticiens passionnés tandis qu’en France, c’est encore l’oeuvre d’un veneur aristocrate, LE VERRIER DE LA CONTERIE, l’Ecole de la chasse aux chiens courants de 1763, qui est rééditée en 1859, en attendant le chef-d’oeuvre du Comte LE COUTEULX DE CANTELEU, Manuel de vénerie française, en 1890 et, quittant la vénerie pour la chasse à tir, l’Education du chien d’arrêt par le Baron A.C.E. BELLIER DE VILLIERS en 1881, avec les subtilités « de la quête » du chien chassant « le nez haut » ou « le nez bas », du « chien qui ne chasse que pour son maître », à la différence du chien courant. La première moitié du XIXe siècle voit paraître des livres sur ce que l’on appelle « sport », du tir à l’arc aux combats de coqs en passant par les combats de chiens au « Westminster Pit » comme « Sporting Anecdotes » de Pierce EGAN, en 1820. Le chien est aussi l’objet d’études, race par race, comme dans Dogs de Charles Hamilton SMITH (1839 – 40). L’écrivain le plus prolifique du temps est, sans aucun doute, Delabere BLAINE qui publie en 1803 un traité sur les maladies des chevaux et des chiens après un livre sur la maladie de Carré (Distemper in Dogs) avec la découverte d’un « remède efficace » (on peut en douter !), en 1817 un ouvrage de pathologie canine, en 1824 un traité « philosophique et pratique » sur l’élevage et en 1832 une description « nosologique» des maladies des chiens. A cette surabondante littérature, il faut bien des lecteurs ! Les amateurs de chiens sont en grand nombre et parmi eux les adeptes des « sports » et aussi les grands de ce monde et même la famille royale. La reine Victoria aimait les chiens et son mari, le prince Albert, a participé à faire connaître le Teckel en Angleterre dans les années 1840. La reine avait ses chenils à Windsor (Royal Kennels). Delabere BLAINE restera surtout dans l’histoire du chien par son énorme ouvrage de 1240 pages comprenant 600 gravures : l’Encyclopédie des sports de plein air (Encyclopaedia of Rural Sports). C’est l’époque où des clergymen pour le moins originaux passent plus de temps « en selle qu’en chaire », chasseurs invétérés comme le Révérend John FROUDE , connu pour son caractère exécrable et son rejet de toute autorité y compris épiscopale, et son ami, le révérend John RUSSELL, dit Jack RUSSELL (1795 – 1883) grand amateur de boxe et de lutte qui, après des Otterhounds a eu son premier terrier en 1819, puis de nombreux autres, aussi différents des terriers que l’on verra plus tard dans les rings « que l’églantine l’est de la rose de jardin » (Dan RUSSELL). On voit que l’opposition « chien de travail contre chien d’exposition » est présente dès le début de la cynophilie.